Par Amélie Martin
Article paru dans le TresSage 8 de juin 2017.
Je partage avec vous mon expérience du suivi d’un enfant souffrant de troubles obsessionnels compulsifs. Pendant plus de 7 séances, j’ai tenté, tant bien que mal, de lui montrer la voie de la sensation agréable, avec des séances “classiques” que nous connaissons tous, afin qu’il puisse percevoir dans son corps des sensations de sécurité, de détente etc. Mais je dois avouer que ce fut un échec cuisant. En effet, il semblait détaché, ennuyé, et ne sentait rien d’agréable dans son corps. Il a fallu que je change de perspective. Voici ce qui s’est passé par la suite.
C’est avec beaucoup de tact mais décidée que j’aborde les “TOC”, en lui racontant la demande que sa mère m’a formulée la première fois. Je lui parle des “rituels” qu’il a mis en place, notamment ceux qui rythment sa soirée. Je lui demande de me décrire précisément son organisation.
“Quand je rentre de l’école, je fais mes devoirs. Tant que je n’ai pas terminé, tant que je ne suis pas satisfait, je ne fais rien d’autre. Après je me douche, après je me mets en pyjama, puis nous passons à table, et après le dîner, je relis une dernière fois mes leçons.”
Je lui demande ce qu’il se passerait d’après lui, si la douche était prise après le dîner.
“Impossible, je préfère dans cet ordre-là, sinon je suis stressé, j’ai mon organisation et je la garde, ça ne dérange personne.”
Je lui signale qu’à partir du moment où ce petit changement est une source de stress pour lui ce n’est pas normal, et évoque l’exemple des chaussures de sport qu’il refuse de changer alors qu’elles sont trouées. Je lui explique les principes des “TOC” “C’est plus fort que toi, ce n’est pas ta faute et ce n’est pas une honte, mais c’est important que tu puisses t’en rendre compte et m’expliquer ce que tu ressens, nous pourrons trouver des solutions pour que tu te sentes mieux.” Il semble moins tendu. Il m’écoute avec plus d’attention. Je poursuis en lui énumérant tous les différents rituels qui existent et lui demande de me dire s’il peut lui arriver de faire pareil. Quand j’aborde l’alignement des objets, il me dit qu’il a l’habitude d’aligner ses cahiers sur son bureau du plus grand au plus petit et de faire de même avec sa brosse à dent et son dentifrice quand il a terminé sa toilette. Je le remercie et le félicite pour son courage, je lui dis que ce n’était pas facile de me donner ces détails, mais que grâce à lui, nous allons pouvoir mieux comprendre ses troubles.
Je lui propose de faire un test, dès le soir même : quand il finira sa toilette, je lui demande de ne pas aligner sa brosse à dent et son dentifrice, de les laisser là en “bazar” ou de les croiser même, de quitter la salle de bain, de s’asseoir sur une chaise, de fermer les yeux, comme quand nous faisons une séance de sophrologie. Simultanément, je lui propose de percevoir ce qu’il sent dans son corps à ce moment précis. Juste pour que je comprenne. Je lui donne quelques exemples :
“Moi, quand j’avais un examen important, je sentais une boule dans ma gorge, ou avant un oral, j’entendais mon cœur battre très fort, et ma respiration s’accélérer.”
Je lui propose des moyens de désactivation pour apaiser les excès, le souffle, les pensées qui calment et rassurent (nous choisissons ensemble une image qui lui parle), et l’exercice Jacobson qu’il connait. Nous les pratiquons ensemble.
Ce soir, après le repérage de ses sensations, et la désactivation, si l’envie de réaligner les deux objets est trop grande, il pourra le faire. Cela sans se dire que c’est un échec, juste une expérience, un test. Il semble motivé par cet exercice. Je sens qu’il vient de s’ouvrir, qu’il me fait confiance. Je préviens sa mère de cette étape que nous venons de franchir et lui demande de ne pas être trop exigeante avec lui cette semaine, et de jouer les espions pour moi, d’aller vérifier si les objets ne sont pas alignés ce soir. Elle avoue ne pas du tout s’être rendue compte de ce rituel. Le soir même, elle m’envoie un sms : “Brosse à dent et dentifrice en croix… On croise les doigts !”.
Retour d’expérience :
La première chose qu’il me dit, c’est qu’il a réussi. Mais que c’était difficile… Il me décrit ses perceptions : “Quand j’ai croisé, je me suis couché sur le lit et j’ai attendu de voir ce qu’il se passait. J’ai senti un mal de ventre, comme des crampes, et j’avais envie de bouger dans tous les sens. J’ai fait les exercices de contraction/détente, j’ai pensé à mon image de calme, ça m’a aidé un peu, et après j’ai couru voir mon petit frère pour jouer avec lui, comme ça, je n’y pensais plus. Le soir quand je me suis couché, j’ai eu envie d’y retourner, mais j’ai résisté, alors j’ai lu, pour trouver le sommeil.”.
La manière dont il me l’explique m’émeut car il me le raconte comme on raconte une histoire à un enfant, en le vivant complètement, depuis son corps, en mimant son mal de ventre, en grimaçant etc. Enfin, il semble vivre les événements depuis une autre dimension que celle de la pensée, les incarner. Je le félicite et lui fais prendre conscience de l'immense pas réalisé et lui fait remarquer qu’il a su trouver lui-même ses propres solutions (rejoindre son frère, lire son livre).
Il me dit que depuis une semaine, il n’a pas aligné ses objets, et qu’il n’y pense presque plus. Par contre, pour la douche, il a essayé d’attendre après le dîner, mais c’était trop pénible pour lui. Je lui signale que c’est un bon début et qu’il ne sert à rien d’aller trop vite, nous y arriverons !
C’est à partir de cette étape que le travail sophrologique a pu vraiment commencer. Ce travail de repérage et de description des sensations au moment de la “crise” puis la désactivation a été pour lui comme pour moi très aidant. Un déclencheur de prise de conscience, pour une meilleure connaissance de lui-même. Et cela n’allait pourtant pas de soi au début. J’ai douté de la pertinence de l’exercice. Amener un enfant vers la sensation désagréable était pour moi une hérésie… Eh bien finalement non !
L'exercice Jacobson
Nous inspirons.
Nous gardons l'air dans nos poumons.
Pendant ce temps, nous contractons une main en nous concentrant sur celle-ci.
Ensuite, nous relâchons en soufflant.
Prise de conscience des sensations dans notre main.
Nous réalisons la même chose avec l'autre main, puis un pied, un bras, une jambe, etc.
Selon l'âge de l'enfant, nous pouvons compliquer en isolant certaines parties du corps et s'amuser.
Pour finir, nous contractons progressivement tout le corps en partant des pieds jusqu'au visage.