En nous, l'enfant


Par Eliane Laxague

 

Article paru dans le TresSage 4 de juin 2015.

 

Pleurs, rires hystériques, cris, trépignements, rage, grincements de dents, sanglots…Habituelles chez les enfants, mais aussi régulièrement le fait d’adultes par ailleurs équilibrés qui mènent une vie active et responsable, ces manifestations souvent bruyantes et spectaculaires étonnent, agacent, dérangent.

Pourquoi donc ?

 

Comment éviter cela ?

Nous rabrouons volontiers les enfants, leur expliquons comment se tenir. Puisqu’ils veulent grandir, et que ce genre de manifestation exagérée est infantile, il s’agit de s’en défaire… et vite s’il vous plaît ! Etant donné le nombre d’adultes empêtrés dans ce type de vécu, force est de constater qu’explications ou répressions, si elles ouvrent la voie de la frustration qui fait grandir, s’avèrent cependant insuffisantes.

Evoquons ici quelques éléments de psychologie des profondeurs qui, sophrologiquement utilisés nous permettent un autre point de vue.

 

Un enfant dans le placard ?

Le gamin, heureux, a soif de découvertes. Il vit ses sentiments, les exprime directement ce qui suscite souvent désapprobations puis réflexions plus ou moins assassines. Les besoins de l’enfant s’opposent aux réalités du monde adulte. Peu à peu, la voix de l’adulte couvre celle de l’enfant… Sentiments et instincts ont-ils disparu ?

L’enfant doit en apprendre la maîtrise. Parent ou enseignant proposent des solutions :

  • « Ne sois pas si fier de toi, ne te laisses pas gouverner par tes sentiments, ne dis pas ceci, ne fais pas cela... »
  • « Ecoute les grandes personnes, et fais ce qu’elles te disent, elles savent mieux que toi. »

Les adultes veulent des enfants sages, raisonnables ; des adultes en devenir, semblables à eux-mêmes. Si seulement ils pouvaient être parfaits ! Drôles, sages… au bon moment !

  • « Voyons, les grands ne pleurent pas, ne crient pas, ne sautent pas dans tous les sens ! »
  • « Veux tu te tenir et apprendre à te comporter comme un adulte ? ! »

Du coup l’enfant se terre. Il fait taire sa spontanéité. Son corps change, se rouler par terre devient incongru.

Où donc est passé l’enfant ?

Enfermé, remisé, refoulé… dans l’ombre !

 

Comme tout ce qui a besoin de devenir conscient, cet enfant invisible sous les traits de l’adulte devenu, vit en nous et s’exprime au présent. Nos réactions démesurées à un petit événement en témoignent et peuvent déclencher nos prises de conscience. Qui est aux commandes ? L’adulte que nous avons l’air d’être ou l’enfant vulnérable, voire blessé, qui a manqué de l’attention dont il avait besoin et continue à la réclamer ? Les besoins d’un enfant sont impérieux, réclament satisfaction immédiate. Sinon gare aux tapage et cris ou, au contraire, retrait et abattement ! Les manifestations varient de l’un à l’autre…

Chaque fois que nous nous surprenons à crier, tempêter, nous terrer dans le repli tant rage, honte, culpabilité et autres émotions de cet acabit nous submergent, apprenons à reconnaître et accueillir en nous cet enfant impuissant, délaissé.

 

L'éclairage de Jung.

Selon C.G. Jung, si l’ombre est quelque chose d’inférieur, de primitif, d’inadapté et de malencontreux, elle n’est pas foncièrement mauvaise. Il n’y a pas de lumière sans ombre ni de totalité psychique sans imperfection. Pour s’épanouir, la vie nécessite la plénitude, non la perfection. L’imperfection permet la progression.

Autrement dit, il s’agit d’accueillir l’enfant qui est en nous !

Cela se vit très naturellement comme en témoignent la mythologie et les contes de fées. Un enfant abandonné ou orphelin, dont la vie est menacée, devient sauveur, voire guide, tels :

  • Moïse, découvert dans les roseaux,
  • Jésus qui naquit dans une étable, tandis que le roi Hérode perpétrait alors le massacre des Saints Innocents,
  • Krishna, joueur de flûte talentueux fut échangé à la naissance par un enfant de berger (ce qui lui sauva la vie : l’oracle avait alerté le roi Kansa, son oncle, que le 8ème fils de sa sœur le tuerait…),
  • Zeus, enfant qui faillit être dévoré par Cronos, son père,
  • Remus et Romulus, abandonnés aux flots du Tibre,
  • Les enfants dont les contes de fées racontent comment, alors qu'ils sont menacés par les ogres, les démons, les sorcières, marâtres… ils se tirent d’affaire,
  • Les lutins, gnomes, elfes…

Les figures archétypales d’enfants présentes dans les grands mythes de l’humanité nous rappellent à quel point vulnérabilité et dépendance sont des expériences communes à tous. Selon C.J. Jung, l’énergie de l’enfant intérieur est vivante en chacun de nous. Il la nomme « Puer aeternus ». L’archétype, ou constante humaine exprimée de différentes façons à travers les âges et les cultures est un héritage psychique transmis par l’inconscient collectif.

Tel un moteur, cette énergie « enfant intérieur » nous rappelle qui nous sommes, nous amène à vivre de mieux en mieux en accord avec nous-mêmes. Elle nous aide à intégrer les différentes composantes de notre personnalité, unifiant les contenus conscients et inconscients de notre personne.

 

L'ombre.

La composante « ombre » est portée par le « fripon divin » ou « trickster ».

Il peut passer une partie de sa vie sous forme animale, jouer plusieurs rôles (lièvre, araignée, renard, coyote, corneille..).Il s’invite en nous ! C’est le farceur, fripon, escroc, charlatan, bouffon, trompeur… ou encore le pitre. Rusé et aimant, sot parfois, il joue des tours aux autres. Il lui arrive d’être humilié, pris à son propre piège. Indiscipliné, moqueur, frondeur, doté d’une énergie impressionnante, il détruit les structures usées et les renouvelle. Il pratique la dérision, l’autodérision, nous déstabilisant à l’envi. Fauteur de désordre et civilisateur à la fois, il ne connaît pas les normes du bien et du mal, fait fi des tabous. Avisé et inconscient, calculateur, impulsif, malicieux c’est une figure équivoque, insaisissable.

Fripon et ombre individuelle ont une mission commune : la recherche de sens !

Le Petit Poucet, Hansel et Gretel, Baba Yaga et Petit Bout ou encore Till Eulenspiegel… à vos contes préférés! Dans cette dynamique, difficile de résister à la tentation d’une citation savoureuse, née d’Alphonse Allais : « Un jeune enfant, sur son pot s’efforçait. » ...! Moralité : Le petit poussait.

 

La lumière.

La composante « lumière » est portée par « l’enfant divin » ou « enfant éternel ».

C’est la part de nous-même qui, associée au mythe chrétien de l’enfant Jésus, du Sauveur, ou encore du héros genre Hercule, Ulysse, conserve son fonctionnement d’enfant.

Elle symbolise d’une part la nouveauté, le potentiel de croissance, l’espoir pour l’avenir ; d’autre part l’homme enfant qui refuse de grandir et de relever les défis de la vie.

Nous en connaissons quelques-uns : Peter Pan, la fée Clochette, Michaël Jackson ou Kurt Cobain...

 

Conjonction.

Deux dynamiques opposées créent de la tension !

D’un côté, l’hybris, inflation par laquelle l’homme revendique pour lui-même ce qui est l’apanage des dieux seuls, par exemple « ne pas travailler » ; de l’autre, l’humilité, contact avec la terre qui met en vie, permet le travail honnête et authentique. Elles créent en nous la tension libératrice d’assez d’énergie pour une transformation totale.

Seul Héphaïstos, le dieu grec boiteux, travaille. Dieu forgeron du feu et de la métallurgie, il utilise ses qualités d’introspection, créativité, courage, patience pour contrôler le feu. Il se salit, sue… vit l’expérience de son corps, capable d’engendrer des créations. Jamais il ne perd son calme, sait rire d’un bon rire bienfaisant qui résonne dans la forge. Ne peut-on pas dire qu’il transcende, intégrant ainsi son passé traumatique ?

Il nous montre comment trouver la force de transformer le moi d’enfant, construit dans l’environnement parental, poser les tendances à l’inflation et trouver l’authentique vocation.

Les tiraillements sont témoins de nos batailles intérieures. Le moi, structuré par l’enfance, doit se renforcer pour soutenir les assauts répétés de l’archétype auquel il peut être tenté de s’identifier s’il est trop fragile. Le besoin psychologique de transformer son paysage intérieur pousse aux toxicomanies diverses, aux dépendances émotionnelles, aux autres accès d’ennui, à quitter un travail ou une relation. Notre entraînement en Sophrologie Dynamique® soutient ce moi dans ses efforts quotidiens, lui évite, entre autres la tentation de prendre à la lettre la force qui peut pousser au suicide. Elle manifeste en réalité le besoin de transformer notre vie et notre personnalité du dedans, et non d’y mettre fin !

 

Comment être adulte ?

Résister à la tentation de mettre de côté les tendances immatures. L’enjeu est de mûrir ces qualités de jeunesse : curiosité enfantine, créativité, empathie, capacité d’émerveillement… leur prodiguer tout le soin nécessaire pour que la semence se transforme en fruit et vive sa pleine maturité.

Alors la tyrannie de l’enfant toujours insatisfait cesse.

La voie proposée ici permet d’unir ce qui émerge de l’union des éléments conscients et inconscients. L’enfant en nous révèle le parent, l'adulte que nous sommes aussi ; le seul qui sache prendre soin de lui. Osons le dialogue de ces instances intérieures, cultivons la fonction transcendante !