Par Eliane Laxague
Article paru dans le TresSage 6 de juin 2016.
Nous nous entraînons régulièrement… nous avons parcouru les différentes étapes qui nous ont permis de dynamiser nos intelligences et notre quotidien s’est grandement amélioré. La pratique de la sophrologie a élargi notre conscience. Cependant une certaine lassitude s’installe, insidieuse. Les exercices dynamiques qui tant nous émerveillaient routine sont devenus. Si notre conscience à nouveau s’endort il est temps de la nourrir, donner un coup de neuf à nos habitudes.
Comment ?
Par un retour aux sources ! Connectons nous à une des racines de notre sophrologie : le yoga.
Cheminons ; comme A. Caycedo, laissons-nous entraîner par de stimulantes découvertes et analogies. Découvrons un peu mieux ce que le yoga nous apporte, en quoi les racines de notre Sophrologie Dynamique® (SD) sont fermement établies et vivantes ; constituent un beau potentiel de ressourcement.
Nous nous intéresserons ici à la pratique du Hatha-yoga, envisagé au début comme complémentaire du Râja-yoga ou yoga de la concentration intériorisée dont la pratique est considérée comme indispensable à celle des autres yogas. Comme les autres yogas, le Hatha-yoga dont la vie est indépendante depuis une antiquité probablement reculée, présente aujourd’hui une richesse de variantes. Composé d’une partie physique et d’une partie mentale, il peut mener le yogi aux paliers les plus différenciés de l’évolution spirituelle. Cependant, la confiance accordée aux occidentaux par les grands maîtres hindous ne les a pas poussés à décrire pour nous leur pratique de manière que nous puissions nous l’approprier sans danger. Le savoir des occidentaux en la matière reste lacunaire, limité à leur pratique, connaissance et conscience. C’est donc en toute humilité que ces quelques observations reprenant les éléments fondamentaux de ce yoga dans sa partie physique vous sont proposées. L’étude suivante se borne à l'aspect musculaire.
Tous égaux, en chemin !
Nous avons appris à nous poser, à ralentir. Peut-être pouvons-nous maintenant explorer notre corps en douceur, en lenteur ; la tradition « yogique » fait ses preuves depuis des millénaires !
Le yoga est immense. À l'exception des maîtres, même un yogi relativement accompli reste un débutant. Chevronné ou néophyte, nous pratiquons tous dans le respect des mêmes règles, revenant jour après jour aux principes essentiels. Chaque étape de notre évolution vécue au présent enrichit la conscience de nos limites vivantes. Cela, nous l’expérimentons aussi en sophrologie ; tous égaux, en chemin. La souplesse est finalement très secondaire. Voilà qui est rassurant.
Portes d’entrée du Hatha-yoga corporel : les âsanas et les respirations dirigées.
L’âsana est une posture corporelle maintenue
Les respirations dirigées sont regroupées sous le terme de prânayama, conduite du souffle.
Pour Patanjali, la maîtrise du yoga requiert un équilibre entre science et art. Les connaissances scientifiques sont comme les couleurs sur la palette d’un artiste : plus elles sont nombreuses, plus les possibilités sont grandes. Le corps est la toile, les âsanas, les œuvres d’art.
Au cœur de la vie : le muscle !
Les âsanas, postures maintenues immobiles mettent en jeu nos muscles. Or, le poids de notre corps est constitué d’environ 40 à 45% de muscles. Il y en a partout où ça bouge : organes, tube digestif, conduits vasculaires… Nous considèrerons ici tous ceux que nous pouvons actionner volontairement : nos muscles striés dont le jeu agit directement ou indirectement sur le fonctionnement de nos organes, digestion, respiration de notre organisme. Par ces muscles nous stimulons notre métabolisme à différents niveaux :
D’où la nécessité de mieux les connaître, d'en prendre soin. Que nous soyons sédentaires ou sportifs chevronnés, nos muscles sont souvent raccourcis, que ce soit par le manque de mouvement ou au contraire par la contraction trop fréquente qui les rend durs et très denses, noueux parfois. Aujourd’hui, les sportifs accordent une importance de plus en plus grande au temps de récupération par stretching (étirement doux) à l’issue de leurs entraînements et compétitions. Là, comme pendant la séance de yoga, les muscles habituellement soumis à oscillation entre contraction et détente vont être étirés, renforçant la caractéristique principale du tissu musculaire : la contractilité.
En outre, le fait d’étirer un muscle le vide de son sang. Dès qu’il revient à sa longueur habituelle, il se gorge donc de sang frais, s’oxygène. En même temps, par voie réflexe l’étirement agit sur les récepteurs nerveux sensibles aux modifications de tension ce qui provoque des réactions en chaîne dans l’organisme.
Dans la vie courante, c’est la recherche de la performance, de l’efficacité d’un geste dans un but précis qui nous motive.
En sophrologie, nous cherchons à affiner notre conscience de tous ces processus qui se vivent en nous à chaque instant. Quel que soit notre état de santé, le corps fidèle fonctionne dans la limite de ses capacités ; nous accueillons mieux la force de la vie en nous.
C’est une démarche inhabituelle, qui permet d’éviter les accidents. D’ailleurs, si nous lisons Patanjali (sutra II 16) « les souffrances non encore survenues peuvent et doivent être évitées ».
La pertinence propre au yoga s’exerce dans la conscience encore plus affinée de la matière, si difficile à mesurer malgré les avancées récentes de l’imagerie médicale. Cette recherche implique la conscience précise du mouvement qui mène à l’immobilité, tout comme l’écoute d’un son peut mener au silence. Explorons plus avant en quoi la vie de nos muscles dynamise nos différentes intelligences.
Le plein de sensation par l’activité musculaire !
Contraction et décontraction musculaires sont indissociables et complémentaires, elles se potentialisent mutuellement. Nous avons l’habitude de vouloir, de faire obéir le corps ; nous lui imposons nos demandes lors des phases volontaires de contraction. La pratique du yoga permet d’enrichir, de nuancer par de nombreuses variantes cette phase volontaire qui plaît tant à l’occidental pressé et rapide que nous sommes.
Nos expériences nous permettent d’explorer les sensations liées à la vie de ce tissu musculaire vivant : excitable, contractile, extensible, élastique.
D’abord le temps actif volontaire du mouvement, de la prise de posture ou phase dynamique pendant laquelle nous nous intériorisons dans les groupes musculaires qui vont être étirés ; ensuite vient la phase statique. Alors seulement, la posture immobile devient âsana et elle se fait. La contraction concerne uniquement les muscles qui permettent de conserver la posture immobile ou exercent une traction sur ceux qui doivent être étirés. Ceux-là s’étirent en douceur, dépassent leur zone d’élasticité habituelle. Ils s’allongent. Le moindre mouvement leur rend leur longueur habituelle.
Nous nous vivons en statue qui respire, enrichissant ainsi la palette de nos sensations.
Le muscle, un régulateur émotionnel !
Comment ne pas ressentir que la mise en mouvement modifie notre ambiance intérieure ?
Le muscle participe à nos émotions ; les exprime par nos gestes et mimiques. Nous ressentons le lien entre nos tremblements, le trémolo de notre voix et la situation vécue.
Une surprise, une contrainte et voilà la contraction ; parfois même la contracture qui s’installe. Une mauvaise position, une alimentation mal adaptée, le stress de la vie devenu chronique… autant d’occasions d’aller vers un dysfonctionnement qui peu à peu conduit à la pathologie. (Hypertension, arthrose,…).
Prendre soin de ce rouage essentiel qu’est le muscle, c’est prendre soin de notre être tout entier.
Lorsque nous nous sentons mous, fatigués, tristes, ou au contraire agités, excités, la mise en mouvement de notre système musculaire a rapidement raison de ces états. Nous retrouvons notre vrai mode de fonctionnement, une meilleure forme.
D’un point de vue plus structurel, nous savons que nos muscles s’organisent en chaînes, certaines dédiées à l’ouverture, d’autres à la fermeture. Observons : les chaines d’ouverture fonctionnent au premier plan si nous sommes optimistes, dans l’extraversion. Au contraire nos périodes de doute et introversion activent les chaines de fermeture. Normalement les deux processus naturels et complémentaires s’équilibrent pour l’harmonie de nos chaînes musculaires ! Notre morphologie témoigne de nos dominantes de fonctionnement. L’équilibre établi là est aussi psychologique.
L’ostéopathie et la fasciathérapie nous précisent que chaque muscle est enveloppé dans une gaine de tissu conjonctif appelée fascia. En rapport les uns aux autres les fascias forment une matrice ; résonateur émotionnel. En effet, ils sont parcourus de nerfs sensitifs. Or, les postures de yoga étirent les fascias, stimulent donc ces nerfs d’où de possibles déclenchements d’émotions, des libérations d’énergie. Et nous de découvrir au passage que les fibres musculaires sont reliées !
Liés au système cardio-vasculaire, au système nerveux, ils le sont aussi à nos os directement ou par l’intermédiaire des tendons.
La pratique globale (physique, respiratoire, mentale) du Hatha-yoga, au travers de gestes dynamiques et statiques culmine à l’immobilité physique et mentale. L’arrêt de l’activité automatique du mental nécessite et permet un bon équilibre psychosomatique.
Au cœur du lâcher prise : le muscle !
Phase suivante : la décontraction.
Le yoga nous oblige à apprendre à ralentir. Si nous voulons appréhender en conscience la phase décontraction, il nous faut l’accueillir, lui donner son temps. Cela signifie accepter de ne pas avoir le contrôle sur ce qui se vit en nous. En effet, le phénomène biologique de décontraction a son propre rythme que nous ne pouvons forcer. Nous voilà spectateurs actifs d’un processus ressenti dans la profondeur des tissus de notre corps que nous acceptons de laisser aller à son terme. Ainsi nous sommes aussi installés dans un temps plus passif d’accueil et d’effacement. Cette respiration profonde nous propose l’expérience du lâcher prise, réalité vécue.
La sophrologie s’inscrit dans l’attitude yoga !
Souvent, nous situons le cerveau, organe très noble, au sommet de la hiérarchie corporelle. Tel le chef suprême, il distribue ses ordres aux ouvriers subalternes, robots fidèles que sont les muscles. Pensée orientale millénaire et biologie moderne s’accordent à envisager les choses autrement. Cerveau et tissu musculaire ont des compétences distinctes, différentes. Ils interagissent, chacun ayant son importance aide l’autre ; met ses compétences et qualités au service de l’ensemble.
Utilisée pour l’amélioration du geste sportif ou lors d’une rééducation la sophrologie propose la concentration sur le mouvement à travailler. Cela permet, de le préciser, mémoriser ; le système neurologique l’intègre, crée ou recrée des chemins neuronaux. Si la réalisation mentale d’un mouvement en facilite la réalisation ultérieure, inversement, le simple fait de réaliser lentement un mouvement encore inconnu, donc sans schéma préétabli va en permettre l’élaboration et l’exécution future aussi.
En sophrologie comme en yoga, corps, souffle et conscience sont les piliers. Asanâs du yoga et exercices dynamiques de la sophrologie nous aident à développer nos capacités de concentration ; nous percevons mieux nos muscles en action, nos sensations s’affinent. Une meilleure conscience du corps nous permet le respect de nos limites. La maîtrise du souffle, plus profondément explorée en yoga permet de mieux mobiliser puis conduire l’énergie dans le corps. La sophrologie met l’accent sur nos capacités de régulation.