Par Jean-Louis Craenhals avec la complicité de Catherine Slaets
Article paru dans le TresSage 5 de décembre 2015.
Lorsque j'ai écouté la conférence de Philippe Croizon au congrès de la FESD à Poitier en septembre dernier, j'ai été impressionné par la façon dont il transforme ses émotions en acte créateur.
L'homme
Le 5 mars 1994, Philippe, ouvrier « métallo », monte sur le toit de sa nouvelle maison et débranche l'antenne de télévision pour la revendre. Par son métier, il a appris la valeur des matériaux d'autant que son épouse attend leur second fils, le premier ayant déjà 7 ans.
Malheureusement, cette tige métallique touche une ligne à 20.000 Volts. La première décharge provoque un arrêt cardiaque et la seconde le ramène à la vie.
Malgré l'amputation de ses deux bras et deux jambes, il garde son humour qui lui donne une solide confiance en la vie.
Dès le début son père donne le mot d'ordre suivant : « Il faut être fort devant Philippe, personne ne pleure. » Après sa rééducation, il rentre à la maison. Il n'a aucun lieu pour exprimer ses émotions. Le réservoir de la colère se remplit peu à peu.
Sa seule compagne de vie devient la télévision. Face à ses proches, il est le tyran du divan. Après 7 ans, son épouse n'en peut plus, le quitte en le laissant seul avec ses deux fils de 7 et 14 ans.
Dans un premier temps, il utilise sa colère contre lui et décide d'en finir avec la vie.
Que faire face à l'énergie de la colère ?
Comment va-t-il s'y prendre pour la transformer ?
Après sa deuxième tentative de suicide, il est suivi par un psychiatre avec lequel il entame un travail personnel. Un an plus tard, celui-ci est couronné par l'écriture de son livre dédié à ses deux fils « J'ai décidé de vivre ».
Suite à la parution régionale de son livre, un journaliste du Monde lui consacre un article ce qui va lui donner une certaine notoriété. Un jour, sur un plateau de télévision, il exprime son rêve de traverser la Manche à la nage.
L'exploit
Inconsciemment, nous avons tous des rêves en nous. Parfois, des circonstances extérieures nous donnent l'énergie d'en exprimer un. Et puis, nous nous demandons comment le réaliser ?
Philippe se lance dans une fameuse aventure : comment va-t-il accomplir ce défi surhumain ? D'autant qu'il a fait deux arrêts cardiaques et ne sait pas nager.
Selon Thich Nhat Hanh, « Il est nécessaire de bâtir une sangha pour réaliser son rêve (...) La sangha nous soutient, nous protège et nous ressource. »
La sangha de Philippe, c'est d'abord sa compagne Suzana Sabino, puis ses fils, ses parents, tout le reste de sa famille, l'équipe mais aussi Théo et ses parents. La maman de ce dernier avait contacté en effet Philippe, touchée par la lecture de son livre : son petit Théo, alors âgé de 6 ans, est également amputé des quatre membres.
Deux années durant, l'entraînement en piscine d'abord, en mer ensuite va mobiliser beaucoup d'énergie physique. Au cours de sa conférence, Philippe parle très peu de sa préparation mentale. Il évoque juste qu'il a fait de la sophrologie pendant 4 mois et qu'il a appris à gérer ses émotions en se concentrant sur sa respiration, en imaginant la boule d'émotion qui monte et qui descend par la respiration.
Le 18 septembre 2010 à 6 heures du matin, il est dans l'eau du côté de l'Angleterre. Le démarrage est difficile et nécessite beaucoup d'énergie pour atteindre le large. A mi-parcours, son capital énergétique est très entamé. C'est alors que trois dauphins, fait extrêmement rare dans la Manche, viennent l'accompagner quelque temps.
Quand le corps crie au secours, c'est le mental qui fait avancer. Il se branche sur ses mouvements, sa respiration, son rythme régulier. Tel un métronome, il respire tous les trois temps. Quand sa tête est du côté du bateau accompagnateur, l'observation sans jugement de sa compagne l'aide à rester dans le mouvement. Dans l'eau, il est en paix avec son corps, il est transporté, il est libre.
Après 13 heures et 26 minutes, il atteint les côtes françaises.
D'un Philippe à un autre
Dans le film « The Walk », actuellement en salle, Philippe Petit nous narre la réalisation de son rêve. Pour lui, c'était une traversée dans les airs : il a relié les deux tours du WTC à New-York, le 7 août 1974. Sa communauté l'a aussi accompagné, mais c'est une autre histoire sur le fil de la Vie.
Et toi chère lectrice, cher lecteur,